Sylvie Cartier,
professeure adjointe Département de psychopédagogie et d'andragogie
Université de Montréal
Université de Montréal
Pour apprendre de façon signifiante, il faut vouloir et pouvoir. Lorsqu'il
est question d'enseignement postsecondaire, plusieurs pensent (ou espèrent,
tout au moins) que les élèves ont tous les outils en main pour pouvoir
apprendre significativement. Or, en est-il vraiment ainsi ? Le pourcentage
important d'échecs et d'abandons au collégial nous amène à penser que les
élèves arrivent moins outillés que d'aucuns le croient.
Dans le but d'aider à prévenir chez les élèves certaines difficultés à
apprendre, on doit répondre à trois questions : Que doit-on savoir sur les
stratégies d'apprentissage pour aider les élèves du collégial à apprendre mieux
et davantage ? Comment doit-on enseigner ces stratégies en classe ?
Auparavant, toutefois, pourquoi doit-on s'intéresser aux stratégies
d'apprentissage ?
Pourquoi s'intéresser aux stratégies d'apprentissage ?
Trois raisons principales justifient l'importance que l'on doit accorder
aux stratégies d'apprentissage. Des chercheurs, dont Weinstein (1994), ont
démontré que les élèves qui réussissent bien leurs cours sont ceux qui
utilisent des stratégies d'apprentissage efficaces pour accomplir avec succès
les différentes activités qui leur sont proposées.
Une autre raison réside dans le fait que les élèves de l'ordre collégial
doivent faire preuve d'autonomie dans leurs apprentissages. Or, pour atteindre
ce niveau d'autonomie, ils doivent connaître et utiliser à bon escient des
stratégies d'apprentissage qui leur permettent d'acquérir les connaissances et
les compétences sur lesquelles portent les études collégiales.
Enfin, il importe de noter que les stratégies d'apprentissage acquises par
les élèves au collégial leur seront utiles pour apprendre tout au long de leur
vie. Cela vaut, d'une part, pour ceux qui poursuivent leurs études à l'ordre
universitaire et, d'autre part, pour les élèves qui s'intègrent au marché du travail
et qui auront en main les moyens de se recycler ou de se perfectionner.
Comment aider les élèves à apprendre mieux et davantage ?
Dans le but de mieux comprendre comment l'utilisation de stratégies
d'apprentissage peut être pertinente pour les élèves en contexte scolaire et en
contexte de formation continue, nous avons élaboré, avec des collègues, un
cadre de référence des stratégies d'apprentissage (Cartier, Debeurme et Viau,
1997). En liant les stratégies d'apprentissage aux processus cognitifs que
l'élève effectue, ce cadre se fonde, entre autres, sur ceux de Weinstein et
Mayer (1986) et Boulet, Savoie-Zajc et Chevrier (1996). Il s'en distingue
cependant par le fait qu'on applique les processus cognitifs à quatre
situations d'apprentissage qui valent autant en contexte scolaire qu'en
contexte de formation continue. Les autres cadres de référence mentionnés plus
haut sont davantage appliqués à des situations uniquement scolaires telles que
passer des examens ou étudier.
Les quatre situations d'apprentissage privilégiées dans
le cadre de référence sont la lecture de textes, l'écoute de la
présentation ou de l'explication d'un sujet, la réalisation d'exercices
et la résolution de problèmes. Le tableau 1 présente la mise en relation
de ces quatre situations d'apprentissage et des types de connaissances [1] qu'elles permettent chacune
d'acquérir. Ces types de connaissances sont également reliés dans le tableau 1
aux processus cognitifs que l'élève effectue pour apprendre. Enfin, pour chacun
de ces processus cognitifs, un exemple de stratégie d'apprentissage est donné [2].
Tableau 1
Liens entre les situations d'apprentissage, les types de connaissances, les processus cognitifs et les stratégies d'apprentissage
Liens entre les situations d'apprentissage, les types de connaissances, les processus cognitifs et les stratégies d'apprentissage
Situations d'apprentissage
|
Types de
connaissances à acquérir
|
Processus
cognitifs mis en oeuvre
|
Stratégies d'apprentissage à
utiliser
|
Lire des :
|
Déclaratives
|
Sélection
|
Chercher un
mot-clé dans le texte
|
Répétition
|
Relire une
section du texte
|
||
Élaboration
|
Générer des
exemples de l'idée principale
|
||
Organisation
|
Catégoriser
les idées importantes dans un tableau
|
||
Écouter une :
|
Déclaratives
|
Sélection
|
Choisir de
noter les définitions présentées
|
Répétition
|
Réécrire ce
qui a été dit
|
||
Élaboration
|
Paraphraser
les idées énoncées en les expliquant à quelqu'un
|
||
Organisation
|
Grouper les
idées de façon hiérarchique dans un tableau
|
||
Faire des exercices
Appliquer :
|
Procédurales
|
Procéduralisation
|
Pratiquer des
procédures, une à la fois
|
Composition
|
Pratiquer des
procédures suffisamment longtemps
|
||
Analyser et
résoudre des problèmes
Analyser et
rédiger des textes :
|
Conditionnelles
|
Généralisation
|
Générer des
exemples du problème
|
Discrimination
|
Générer des
contre-exemples du problème
|
||
Procédurales
|
Procéduralisation
|
Pratiquer l'ensemble d'une
procédure
|
|
Composition
|
Regrouper des
procédures chaque fois que c'est possible
|
Les situations de lecture et d'écoute
Les situations de lecture et d'écoute permettent l'acquisition de
connaissances déclaratives[3]. Pour acquérir ce type de
connaissances, l'élève doit effectuer certains processus cognitifs dont la
sélection, la répétition, l'organisation et l'élaboration. Ces processus sont
favorisés par l'utilisation de stratégies d'apprentissage. Par exemple, au
cours de la lecture d'un article dans une revue, un élève, pour sélectionner
les idées principales du texte, peut utiliser des stratégies d'apprentissage
qui consistent à chercher des mots-clés dans le texte et à les inscrire dans
les marges. Toujours en lecture, mais cette fois pour acquérir des
connaissances au cours de la lecture d'un texte argumentatif, l'élève peut mettre
en oeuvre le processus de répétition par l'utilisation de stratégies comme la
relecture du texte, la répétition intégrale des informations qu'il lit ou la
copie des phrases particulières.
Les stratégies relatives aux processus de sélection et de répétition, que
nous venons de présenter, sont généralement assez bien utilisées par les élèves
au collégial. Toutefois, ceux-là connaissent moins les stratégies liées aux
processus d'élaboration et d'organisation, et elles méritent de leur être
enseignées, car ce sont ces stratégies qui permettent le mieux d'acquérir des
connaissances de façon signifiante et efficace.
Le processus d'élaboration est celui qui permet à l'élève de faire des
liens entre ses connaissances et l'information à apprendre. Ainsi, pour activer
ce processus au moment de l'écoute d'une présentation, l'élève peut utiliser
des stratégies d'apprentissage comme celles qui consistent à se trouver
lui-même des exemples illustrant les informations présentées ou à les
expliciter à quelqu'un dans ses propres mots. Ainsi, à la suite de la
présentation d'analyses d'oeuvres poétiques, l'élève peut décider d'expliquer à
un collègue ce qu'il a compris et retenu de cette présentation. Pour favoriser
le processus d'organisation qui permet de mettre en évidence la structure et la
cohérence des informations à traiter, l'élève peut choisir de construire des
cartes sémantiques, des schémas, des graphiques, etc. Dans un cours, par
exemple, l'élève peut faire un schéma reproduisant les différentes catégories
et sous-catégories des informations importantes traitées ainsi qu'un tableau
les comparant.
Les situations d'exercisation et de
résolution de problèmes
Les situations d'exercisation et de résolution de problèmes
permettent l'acquisition de connaissances procédurales [4]. Pour acquérir ce type de
connaissances, l'élève doit recourir aux processus de procéduralisation et de
composition. Le premier processus permet à l'élève d'acquérir une procédure. Ce
processus peut être favorisé par l'utilisation de plusieurs stratégies
d'apprentissage dont celles qui servent à se représenter l'ensemble des
procédures à exécuter puis à regrouper les procédures par étapes d'exécution.
En français, l'élève peut pratiquer les procédures de rédaction d'un texte de
type comparatif en les regroupant par étapes de rédaction. Le deuxième
processus, le processus de composition, permet à l'élève d'automatiser une
procédure. Ce processus peut être favorisé par l'utilisation de plusieurs
stratégies d'apprentissage et la pratique des procédures suffisamment
longtemps, et ce, chaque fois que c'est possible. Par exemple, pour pratiquer
des procédures de révision de textes, l'élève peut se donner comme tâche de les
utiliser chaque fois qu'il doit écrire un texte.
En plus de permettre l'acquisition de connaissances procédurales, la
situation de résolution de problèmes favorise aussi l'acquisition de connaissances
conditionnelles[5]. Cette acquisition se fait par la
juxtaposition des processus de généralisation et de discrimination. Le premier
permet à l'élève de reconnaître l'ensemble des problèmes dans lesquels
l'utilisation de la procédure est pertinente. Ce processus peut être favorisé
par l'utilisation de plusieurs stratégies d'apprentissage, dont la recherche
d'exemples d'application des procédures et la comparaison de deux exemples.
Ainsi, au moment de l'analyse d'un problème, l'élève peut en tirer les
caractéristiques générales en faisant l'effort de trouver les ressemblances
entre ce type de problème et d'autres problèmes semblables qu'il a déjà
analysés. Le deuxième permet à l'élève de se prémunir contre une généralisation
abusive des procédures dans des problèmes où elles ne s'appliquent pas. Ce
processus peut être favorisé par l'utilisation de plusieurs stratégies
d'apprentissage dont la recherche de contre-exemples d'utilisation des
procédures et des particularités de ce type de problème. Par exemple, afin
d'analyser un style littéraire particulier, tel que celui du roman, l'élève
peut en trouver les particularités afin de bien choisir les procédures qui
conviennent.
Voici ce qu'il faut retenir du cadre de référence des stratégies
d'apprentissages contextualisées ou appliquées aux situations d'apprentissage
scolaires et de formation continue :
- pour faire des apprentissages signifiants, il est important que les élèves utilisent des stratégies qui sollicitent les processus cognitifs reliés aux types de connaissances à acquérir ;
- la sollicitation de chacun de ces processus cognitifs peut se faire par l'utilisation des différentes stratégies d'apprentissage qui y sont reliées ;
- les stratégies d'apprentissage se définissent comme un ensemble d'actions ou de moyens observables et non observables (comportements, pensées, techniques, tactiques) ; cela implique qu'elles peuvent s'opérationnaliser de différentes façons (p. ex., différents moyens pour construire un tableau ou un schéma).
Comment enseigner les stratégies
d'apprentissage en classe ?
L'importance des stratégies d'apprentissage pour la réussite scolaire des
élèves doit amener un professeur à les enseigner. Une première idée à retenir
pour un tel enseignement est qu'il doit se faire en contexte naturel et
authentique, c'est-à-dire à l'intérieur des cours habituels et en accomplissant
les activités réelles de ces cours. Ce principe, relié à l'approche de la
contextualisation de l'apprentissage, est relevé dans les travaux de Tardif
(1992) et de Weinstein (1994). Ces chercheurs recommandent d'enseigner les
stratégies générales (telles que les stratégies d'apprentissage) dans le
contexte d'acquisition de connaissances spécifiques (telles que celles qui
appartiennent au domaine étudié).
Une deuxième idée à retenir pour l'enseignement de stratégies
d'apprentissage est que l'enseignant doit favoriser chez l'élève un travail de
réflexion sur les stratégies qu'il utilise spontanément. Pour y arriver, Bazin
et Girerd (1997) proposent d'enseigner à l'élève à reconnaître les stratégies
qu'il utilise en les consignant dans une grille. Le tableau 2 donne un exemple
de fiche de consignation des stratégies par situation d'apprentissage. Ce
travail de prise de conscience par l'autoévaluation peut amener l'élève à voir
l'utilité 1) de continuer à appliquer certaines stratégies dans certaines situations,
2) d'ajuster les stratégies qu'il utilise dans d'autres situations, 3)
d'utiliser des stratégies connues dans d'autres situations et 4) d'augmenter,
au besoin, son répertoire de stratégies.
Tableau 2
Fiche de consignation des stratégies par situation
d'apprentissage
(inspiré de Bazin et Girerd, 1997)
(inspiré de Bazin et Girerd, 1997)
Semaine
du____________________ Analyse de mon travail
|
|||||
Date
|
Situations
|
Ce que je dois faire...
|
Ce à quoi je pense...
|
Ce que j'écris...
|
Ce que je referais et modifierais...
|
Lecture d'un texte
|
|||||
Écoute d'une explication
|
|||||
Résolution d'un problème
|
|||||
Exercice d'application
|
La troisième idée à retenir est qu'il faut enseigner explicitement les
stratégies d'apprentissage que l'élève ne connaît pas ou qu'il n'utilise pas de
la bonne façon ou dans le bon contexte. Pour ce faire, Weinstein et Hume (1998)
proposent d'utiliser trois méthodes d'enseignement : l'enseignement
direct qui consiste à dire quelle est la stratégie à appliquer et comment
l'utiliser ; le modelage cognitif et métacognitif, qui vise à
expliciter le raisonnement qui accompagne la planification et la réalisation
d'une tâche, à mettre en évidence l'importance de contrôler la réalisation de
la tâche et à communiquer des attitudes (Hensler, 1999) ; enfin, la
pratique guidée avec rétroaction, qui propose la discussion des
caractéristiques et des applications possibles et impossibles de la stratégie.
Le pouvoir d'apprendre
Nous espérons que ce texte a permis de répondre aux deux questions portant
sur le pouvoir d'apprendre de l'élève au collégial et, notamment, sur
l'utilisation de stratégies d'apprentissage. Nous avons souligné, d'une part,
que l'acquisition de stratégies d'apprentissage par les élèves au collégial est
importante, car elle leur permettra non seulement d'apprendre en contexte
scolaire, mais aussi tout au long de leur vie, lorsque leurs études seront
complétées. D'autre part, nous avons mis en évidence le fait que les
enseignants qui veulent aider les élèves doivent leur enseigner non seulement
des connaissances et des compétences dans leur domaine d'études, mais aussi les
stratégies qui leur permettent de faire ces apprentissages. En agissant ainsi,
ces enseignants contribueront à augmenter le pouvoir d'apprendre de leurs
élèves et les aideront à devenir des apprenants pour la vie.
Références bibliographiques
BARBEAU, D., MONTINI, A. et C. ROY. Sur
les chemins de la connaissance, la motivation scolaire, Montréal,
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Notes
- En psychologie cognitive, on distingue trois types de connaissances : les connaissances déclaratives, les connaissances procédurales et les connaissances conditionnelles.
- Pour obtenir plus d'information sur les stratégies d'apprentissage, nous recommandons la lecture du texte sur l'étude de Saint-Pierre (1993) et les deux livres sur la motivation scolaire au collégial de Barbeau, Montini et Roy (1997 a et b).
- En psychologie cognitive, les connaissances déclaratives renvoient au savoir théorique comme les faits, les règles et les définitions.
- En psychologie cognitive, les connaissances procédurales renvoient au savoir-faire, c'est-à-dire aux procédures d'actions.
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